(Message originellement envoyé le 15 avril 2008)
Comme je vous l'ai déjà dit, je loue une chambre, qui est en fait une petite annexe, à une famille mam. Cette famille est constituée de 4 personnes, 4 femmes. Il y a d'abord L., qui est âgée d'environ 60 ans (c'est la réponse que sa fille m'a donné lorsque je lui ai demandé l'âge de sa mère). Elle parle surtout mam, et un peu espagnol. En général, nous réussissons à nous comprendre… mais pas toujours! L. est sage femme, c'est donc une excellente source d'information sur les plantes médicinales! L. a eu, à ce que j'ai compris, trois enfants, un qui est présentement aux États-Unis, un qui vit dans une autre municipalité, et une fille, C., qui vit avec elle.
C. travaille pour la municipalité. Elle est responsable de l'organisation avec des groupes de femmes des hameaux aux alentours (de plus en plus les femmes guatémaltèques s'organisent en groupe pour partager les tâches de travail, créer des coopératives et obtenir du crédit). J'ai déjà eu l'occasion d'aller avec elle à l'une de ces réunions, où les femmes des petites communautés discutent (en mam, bref je n'y comprends absolument rien). C. a eu trente an il y a de cela quelques semaines. Elle a deux filles qui vivent elles aussi avec nous : K., qui a 14 ans, et X. (pour Xlaqmon –petit singe), qui a 5 ans. Les deux vont présentement à l'école. C. et K. s'expriment très bien en espagnol, et X. progresse rapidement.
Le père des deux filles est parti gagner des sous aux États-Unis il y a de cela 12 ans. Un an après son départ, il a cessé d'envoyer des fonds à la famille, et s'est remarié là-bas. Il téléphone de temps en temps, il semblerait uniquement pour faire pleurer la famille en entier.
Résident aussi avec nous J., qui est chambreuse comme moi depuis moins d'une semaine, et une dame très malade qui est ici depuis un peu plus d'une semaine, et dont L. s'occupe.
Le fait que la famille est exclusivement féminine est très difficile pour celle-ci, tout particulièrement lorsque l'on prend en considération la mentalité mam. En effet, l'équilibre est très important pour eux. Dans la médecine traditionnelle, par exemple, toute maladie est due à un débalancement, comme par exemple entre le froid et le chaud. Il y a des aliments «froids» et «chaud» (la catégorie n'est pas nécessairement liée à la température réelle des aliments) et des activités «froides» et «chaudes». Un excès de froid ou de chaud dans la vie d'une personne entraîne donc des maladies, elles-même froides ou chaudes. Il suffit de retrouver l'équilibre pour se guérir. Mais l'équilibre doit être présent partout, y compris dans une famille, où il devrait y avoir autant d'hommes que de femmes.
On peut donc comprendre que mon arrivée dans la famille a été, je crois, une source de joie pour elles. Plusieurs indices me le prouvent… D'abord, j'ai récemment appris que je paie le deux tiers du prix que J.t, qui vit pourtant dans une chambre beaucoup plus petite, et qui n'est pas fraichement peinte, paie pour son logement. Je crois que le fait que je sois un homme a beaucoup à voir là-dedans! Aussi, X. vient me voir dès que je suis au travail dans ma chambre. Au début je croyais que c'était parce qu'elle aime jouer avec mes objets étranges (caméra, ordinateur, lampe de poche), mais j'ai un jour entendu C. «envoyer» X. chez moi. Et ce peu après m'avoir dit que c'était très difficile pour les filles de grandir sans présence masculine… Aussi, un soir nous sommes allés, toute la famille, à l'église. Et la petite X. tenait d'une main celle de sa mère, et de l'autre la mienne. Une sortie de famille, quoi! Sans oublier les tâches «masculines» que C. me demande de faire (charrier du bois, les accompagner la nuit parce qu'elles ont peur de sortir dans le village, etc.).
J'irai même jusqu'à croire qu'elles ont eu l'espoir, au tout début, de m'intégrer à la famille. En permanence. C'est qu'il y a plusieurs «gringos» (les blancs) qui sont venus ici, se sont mariés avec une femme du village, et y sont restés. Le fait que nous ne manquons pas d'argent, et aussi que nous ne passons pas nos soirées à nous saouler, nous rend très attrayants pour les femmes d'ici, je crois. Dans les premières semaines, la famille me demandait souvent si je comptais revenir au Guatemala après mon stage. Et j'ai eu droit à une certaine incrédulité et une déception à peine voilée lorsque j'ai appris à la famille que je n'étais pas célibataire…
Mais maintenant les choses ont un peu changé. Comme j'aime bien aider à la cuisine, et que je lave mes vêtements moi-même, je crois que leur perception de moi a un peu changé. Pas qu'elles me perçoivent comme une femme, mais je ne suis plus «un homme» (pourvoyeur, figure d'autorité) mais plutôt «un jeune» (en apprentissage, aide dans le foyer). N'empêche, je me sens toujours bien intégré à la famille. J'ai l'impression que les filles se font du souci pour moi, et par exemple lorsque j'ai été malade elles se sont toutes occupées de moi. Dès que je dois quitter pour plus de quelques heures, L. fait semblant de pleurer, comme si j'allais lui manquer.
Mais bon, ce n'est pas parce que je me sens comme partie de la famille que je comprends toutes les subtilités de la culture mam, et loin de là! Avant-hier, nous étions en plein souper, quand L. commence à faire mine de pleurer. Guilleret, je lui réponds par des éclats de rire. Mais elle continue son manège pour encore quelques minutes, et vers la fin, mon sourire est un peu forcé. Jusqu'à ce que C. me dise de Luiza pleurait vraiment, je lui faisais penser à son fils qui souffre beaucoup aux Étas-Unis… Et moi qui lui avait ri à la figure tout le long… Il m'en reste des croutes à manger pour bien m'intégrer!
Dans un autre ordre d'idée, mon père arrive jeudi au Guatemala, et y reste pour neuf jours. Nous allons en profiter pour voyager, aussi vous n'aurez pas de mes nouvelles avant son départ. Je pourrai ensuite vous montrer ce que nous avons vu, comme le merveilleux Lac Atitlan, la mystérieuse Antigua, et… on verra!
«Au revoir, à bientôt»
Comme je vous l'ai déjà dit, je loue une chambre, qui est en fait une petite annexe, à une famille mam. Cette famille est constituée de 4 personnes, 4 femmes. Il y a d'abord L., qui est âgée d'environ 60 ans (c'est la réponse que sa fille m'a donné lorsque je lui ai demandé l'âge de sa mère). Elle parle surtout mam, et un peu espagnol. En général, nous réussissons à nous comprendre… mais pas toujours! L. est sage femme, c'est donc une excellente source d'information sur les plantes médicinales! L. a eu, à ce que j'ai compris, trois enfants, un qui est présentement aux États-Unis, un qui vit dans une autre municipalité, et une fille, C., qui vit avec elle.
C. travaille pour la municipalité. Elle est responsable de l'organisation avec des groupes de femmes des hameaux aux alentours (de plus en plus les femmes guatémaltèques s'organisent en groupe pour partager les tâches de travail, créer des coopératives et obtenir du crédit). J'ai déjà eu l'occasion d'aller avec elle à l'une de ces réunions, où les femmes des petites communautés discutent (en mam, bref je n'y comprends absolument rien). C. a eu trente an il y a de cela quelques semaines. Elle a deux filles qui vivent elles aussi avec nous : K., qui a 14 ans, et X. (pour Xlaqmon –petit singe), qui a 5 ans. Les deux vont présentement à l'école. C. et K. s'expriment très bien en espagnol, et X. progresse rapidement.
Le père des deux filles est parti gagner des sous aux États-Unis il y a de cela 12 ans. Un an après son départ, il a cessé d'envoyer des fonds à la famille, et s'est remarié là-bas. Il téléphone de temps en temps, il semblerait uniquement pour faire pleurer la famille en entier.
Résident aussi avec nous J., qui est chambreuse comme moi depuis moins d'une semaine, et une dame très malade qui est ici depuis un peu plus d'une semaine, et dont L. s'occupe.
Le fait que la famille est exclusivement féminine est très difficile pour celle-ci, tout particulièrement lorsque l'on prend en considération la mentalité mam. En effet, l'équilibre est très important pour eux. Dans la médecine traditionnelle, par exemple, toute maladie est due à un débalancement, comme par exemple entre le froid et le chaud. Il y a des aliments «froids» et «chaud» (la catégorie n'est pas nécessairement liée à la température réelle des aliments) et des activités «froides» et «chaudes». Un excès de froid ou de chaud dans la vie d'une personne entraîne donc des maladies, elles-même froides ou chaudes. Il suffit de retrouver l'équilibre pour se guérir. Mais l'équilibre doit être présent partout, y compris dans une famille, où il devrait y avoir autant d'hommes que de femmes.
On peut donc comprendre que mon arrivée dans la famille a été, je crois, une source de joie pour elles. Plusieurs indices me le prouvent… D'abord, j'ai récemment appris que je paie le deux tiers du prix que J.t, qui vit pourtant dans une chambre beaucoup plus petite, et qui n'est pas fraichement peinte, paie pour son logement. Je crois que le fait que je sois un homme a beaucoup à voir là-dedans! Aussi, X. vient me voir dès que je suis au travail dans ma chambre. Au début je croyais que c'était parce qu'elle aime jouer avec mes objets étranges (caméra, ordinateur, lampe de poche), mais j'ai un jour entendu C. «envoyer» X. chez moi. Et ce peu après m'avoir dit que c'était très difficile pour les filles de grandir sans présence masculine… Aussi, un soir nous sommes allés, toute la famille, à l'église. Et la petite X. tenait d'une main celle de sa mère, et de l'autre la mienne. Une sortie de famille, quoi! Sans oublier les tâches «masculines» que C. me demande de faire (charrier du bois, les accompagner la nuit parce qu'elles ont peur de sortir dans le village, etc.).
J'irai même jusqu'à croire qu'elles ont eu l'espoir, au tout début, de m'intégrer à la famille. En permanence. C'est qu'il y a plusieurs «gringos» (les blancs) qui sont venus ici, se sont mariés avec une femme du village, et y sont restés. Le fait que nous ne manquons pas d'argent, et aussi que nous ne passons pas nos soirées à nous saouler, nous rend très attrayants pour les femmes d'ici, je crois. Dans les premières semaines, la famille me demandait souvent si je comptais revenir au Guatemala après mon stage. Et j'ai eu droit à une certaine incrédulité et une déception à peine voilée lorsque j'ai appris à la famille que je n'étais pas célibataire…
Mais maintenant les choses ont un peu changé. Comme j'aime bien aider à la cuisine, et que je lave mes vêtements moi-même, je crois que leur perception de moi a un peu changé. Pas qu'elles me perçoivent comme une femme, mais je ne suis plus «un homme» (pourvoyeur, figure d'autorité) mais plutôt «un jeune» (en apprentissage, aide dans le foyer). N'empêche, je me sens toujours bien intégré à la famille. J'ai l'impression que les filles se font du souci pour moi, et par exemple lorsque j'ai été malade elles se sont toutes occupées de moi. Dès que je dois quitter pour plus de quelques heures, L. fait semblant de pleurer, comme si j'allais lui manquer.
Mais bon, ce n'est pas parce que je me sens comme partie de la famille que je comprends toutes les subtilités de la culture mam, et loin de là! Avant-hier, nous étions en plein souper, quand L. commence à faire mine de pleurer. Guilleret, je lui réponds par des éclats de rire. Mais elle continue son manège pour encore quelques minutes, et vers la fin, mon sourire est un peu forcé. Jusqu'à ce que C. me dise de Luiza pleurait vraiment, je lui faisais penser à son fils qui souffre beaucoup aux Étas-Unis… Et moi qui lui avait ri à la figure tout le long… Il m'en reste des croutes à manger pour bien m'intégrer!
Dans un autre ordre d'idée, mon père arrive jeudi au Guatemala, et y reste pour neuf jours. Nous allons en profiter pour voyager, aussi vous n'aurez pas de mes nouvelles avant son départ. Je pourrai ensuite vous montrer ce que nous avons vu, comme le merveilleux Lac Atitlan, la mystérieuse Antigua, et… on verra!
«Au revoir, à bientôt»